Back

Rebecca Jean : la pluralité musicale et humaine !

C’est autant par le voyage d’une terre à une autre que le voyage interne à la recherche de ses racines et de son identité propre, qu’elle a su tirer dans les profondeurs de son âme pour faire émerger à travers les mots et la musique les merveilles qu’elle y a puisées. Souche vous lève le rideau sur Rebecca Jean.

Par Marjorie Aimé (Rédactrice/Correctrice)

Portrait d’artiste & entrepreneurial

Parle-nous de ton aventure artistique

J’ai commencé à faire de la musique très jeune (on avait un orgue à la maison) je composais des chansons avant même de savoir lire et écrire. Petite, j’étais plutôt introvertie, donc la musique fut rapidement un moyen d’expression.

Pourquoi est-ce que tu t’es lancée?

Je me suis lancée professionnellement vers la fin de l’adolescence. Je n’ai jamais eu vraiment à y réfléchir, c’est quelque chose que je faisais naturellement. Je me souviens qu’au secondaire, je fabriquais mes pochettes de CD en découpant des photos et du texte; je suis également infographe de formation, alors j’imagine que ça faisait partie du bagage que j’explorerais plus tard dans ma vie. Je m’enregistrais (même si le son n’était pas au top). Bref, l’envie était déjà là. Je me souviens que vers la fin de l’adolescence/début de l’âge adulte, j’ai un oncle qui s’appelle Jean-Marie qui étudiait à l’École du Show Business pour devenir gérant d’artiste. Il m’avait présentée à un de ses professeurs qui testait un nouveau programme immersif qui consistait à prendre une artiste pour qu’elle soit gérée par une quarantaine d’étudiants. C’est à travers cette expérience que j’ai appris beaucoup de choses par rapport au métier ainsi qu’en ce qui a trait à ce qui se passe en arrière-scène. J’ai eu par la même occasion de toucher au domaine du classique et, par la suite, j’ai fait mes premiers spectacles avec eux. Tout cela fut un élément déclencheur pour oeuvrer professionnellement dans le domaine artistique.

Combien d’instruments joues-tu? Depuis quel âge?

J’ai commencé avec l’orgue et le piano est arrivé plus tard, au début de l’adolescence. Je suis tombée en amour avec la délicatesse du piano et le fait qu’on puisse le faire vivre tellement d’émotions. J’ai une guitare à la maison, mais je n’en parle pas trop puisque je n’ai pas encore la patience d’apprendre. Quand on est autodidacte et que ce qui nous passe par la tête, on peut le faire à sa manière… Réapprendre un instrument et éprouver la frustration à ne pas pouvoir jouer tout de suite ce qu’on a en tête – c’est ce qui m’a peut-être retenue de jouer de la guitare. J’ai vécu un événement marquant même avec une flûte à bec au primaire. Je fréquentais une école qui nous encourageait à explorer notre créativité. Puis, un jour, tandis qu’on devait jouer pour une pièce de théâtre, j’ai commencé à jouer l’air d’une chanson et cela a attiré l’attention du professeur et finalement, tout ça s’est transformé en comédie musicale avec instruments live. J’ai donc toujours eu cette envie de créer des arrangements musicaux. Je joue un peu de batterie aussi et bien sûr, j’ai plusieurs petits instruments que j’utilise dans un cadre plus méditatif.

De quoi t’imprègnes-tu pour dégager ce style artistique si unique?

Mon style artistique est vaste étant donné que je m’imprègne de tout ce que l’on vit dans l’expérience humaine. Si je compare mon art à un arbre, je dirais que j’ai mis beaucoup d’années à me construire et à développer mes branches. Je trouve mon équilibre en nourissant tous ces différents aspects qui m’interpellent : mon identité, mon environnement, notre réalité collective. J’utilise ma musique comme un outil pour véhiculer mes valeurs, apaiser les coeurs face à l’adversité et pour motiver à prendre part au redressement de nos sociétés.

Sans vouloir y mettre nécessairement une étiquette, tu te situes dans quel style au niveau musical, ou comment appelles-tu ton style de musique?

J’ai beaucoup d’influences, mais je dirais que le conscious pop peut s’appliquer à ce que je fais et c’est le message qui vient faire une différence. Aussi, la musique permet de visiter ses émotions et ses prises de positions. Pour moi, c’est une manière de voyager à l’intérieur de soi et faire en sorte de s’élever en se reconnectant avec soi et les autres.

Comment définis-tu ton style vestimentaire qui semble tantôt urbain, tantôt vintage…?

Vraiment, je dois dire que c’est au gré de mes humeurs, tout comme ma musique, j’aime y ajouter une touche racine/afro, un côté mystérieux. Je pense pratiquer le métier qui me permet de me laisser aller à fond dans ma créativité, mon imagination et on est là pour faire rêver les gens. Pour ma part, j’ai été inspirée par Diane Dufresne entre autres avec ses tenues extravagantes. En plus, ma mère fait de la haute couture, donc dès que j’ai une idée, je dessine et elle le fait…!

L’univers artistique est vaste; comment fais-tu pour t’y retrouver et conserver un bel équilibre ?

J’ai toujours une petite préparation avant de monter sur scène. Je me mets dans ma bulle; j’ai carrément un p’tit rituel : ma sélénite, ma sauge, mes pierres, mon bol tibétain. Je me retrouve vraiment dans un espace méditatif. Cela contribue notamment à ma concentration et me permet de bien incarner mon personnage. 

 

Musicographie & Spectacles

On sait que Haïbécoise est sorti cet été et que Antidote s’en vient pour 2022. Parle-nous un peu de tes projets musicaux et spectacles : quelles en sont tes sources d’inspiration entre autres? Comment Haïbécoise a pu se transformer en spectacle?

Haïbécoise est d’abord une chanson regroupant différents éléments intégrés en tant qu’Haïtienne ayant grandi au Québec. C’est aussi le titre de l’album (EP) qui est sorti cet été dans le cadre de Haïti en folie. Puis, c’est devenu le titre de mon prochain spectacle qui sera présenté à l’automne. J’ai fait quelques adaptations de chansons québécoises en créole; j’avais envie de parler de ce qui nous rassemble. Dans ma reconnection avec mes racines, j’avais envie de faire une chanson thème pour la langue créole. Sur le EP Haïbécoise, il y a une version créole de la chanson La langue de chez nous (Yves Duteil). J’ai voulu l’adapter pour parler de nos paysages haïtiens et de la naissance de la langue créole qui est arrivée dans un contexte d’esclavage. Étant donné que je ne suis pas née en Haïti et que n’ai pas nécessairement grandi avec cette poésie qui se trouve dans les détails du quotidien, je redoutais de n’avoir une belle plume en créole. Finalement, j’ai osé le faire en me laissant porter par l’inspiration du message.

On ne peut passer sous silence l’oeuvre exquise qui a su émerger de toi et qui apparait dans l’album Amoureuses des mots; parle-nous-en un peu.

Pour moi, Aznavour est un bel exemple de persévérance parce que sa carrière a pris beaucoup de temps pour décoller de sorte qu’il soit reconnu pour son talent. Je me suis inspirée de lui dans ma façon de composer et d’écrire compte tenu que c’était un génie autant avec les paroles qu’avec les mélodies. Il savait comment nous faire entrer dans une histoire.

L’album Amoureuses des mots est un projet qui a été produit par mon éditeur, Jehan Valiquet. Lorsqu’il m’a proposé d’y participer, j’avais envie de chanter en créole et de représenter la réalité de plusieurs Haïtiens nés au Québec. J’ai été agréablement surprise de l’accueil de la chanson Gen de jou – qui est la version créole de Hier encore. Cet album rassemble 14 femmes qui reprennent des chansons d’Aznavour et je trouve ça tellement beau des femmes qui se soutiennent. Je pense qu’il y a un retour à cette alliance féminine et c’est merveilleux de grandir et guérir ensemble.

Socialement parlant, beaucoup de choses me touchent énormément : la condition/l’évolution des femmes, l’identité, les aînés. D’ailleurs, j’ai fait une chanson pour les aînés sur mon album Antidote qui sort au printemps. Cette chanson s’intitule Je serai là. Tous ces thèmes m’interpellent : mûrir avec le temps, la maladie mentale, la transition de la vie à la mort. Cet album traite de tous les petits bobos de la société auxquels nous sommes confrontés.

Comment te sens-tu quand tu es sur scène pour chanter vs. pour faire du théâtre?

J’ai souvent été approchée pour créer de la musique pour le théâtre ou des trames sonores de films et il est arrivé qu’on me dise qu’il fallait que j’en fasse partie. Alors, je me retrouvais avec des rôles même si je n’ai jamais étudié le théâtre. Justement, il y a eu récemment l’avant-première du théâtre musical L’enfant derrière le miroir, qui s’inspire du livre de Mariana Djelo Baldé, auteure et conteuse, pour lequel j’ai créé la musique et dans lequel j’ai joué le rôle de La Nuit – assez mystérieux comme rôle – j’ai adoré faire ça. C’est une pièce qui permet de démystifier de manière humoristique et légère les multiples tabous entourant la santé mentale. Je suis sortie de ma zone de confort à devoir vivre mon personnage et plonger dans une gestuelle qui permet aux gens d’entrer dans ce monde de la nuit. C’est une des raisons pour lesquelles à mon jeune âge j’ai pu explorer autant de styles différents parce que plus on sort de sa zone de confort, plus on élargit nos horizons. J’ai toujours osé dire oui aux opportunités pour composer avec la situation par la suite malgré la peur ou le doute.

Au théâtre, j’ai dû apprendre à communiquer par le regard, le mouvement, le silence même.

Comment en es-tu venue à créer la collection de méditations guidées en collaboration avec Rose-Edith Crespel?

Nous nous sommes rencontrées elle et moi au lancement d’un livre et je l’ai approchée en lui suggérant de combiner sa méditation guidée avec ma musique c’est ainsi que nous avons joins nos talents. Ce que j’aime de ce projet c’est qu’on n’a pas nécessairement besoin d’une préparation particulière. On vit l’instant présent et on se suit dans le flow, ce qui crée une fusion de nos essences. On s’adapte à l’énergie du groupe et cela devient mon moment pour me ressourcer et me déposer. Après plusieurs années de méditations guidées en live, la suite logique fut de créer un CD. Cela consistait essentiellement à combiner les textes de Rose-Edith à une trame sonore. La magie de ce projet se trouve dans le processus de création qui est totalement différent de la structure Pop habituelle. L’effet recherché n’est pas de créer une mélodie qu’on reconnaît facilement, mais plutôt de défaire toute structure. C’est une déconnection qui permet une reconnection à soi. Ce projet fut un moyen d’expression de la liberté totale!

rebeccajean.ca/